« A license to kill »

Il n’y a pas que James Bond qui ait un « permis de tuer ». Non, ce ne sont pas que les agents secrets qui ont le droit de tuer au nom de la raison d’État. (Et je ne parle ici des militaires : qu’ils aillent donc ramasser des sacs de sable le long du Richelieu, pour ce que j’en dis!) Il y a aussi nos gendarmes qui exercent ce que Max Weber a appelé le « monopole de la violence légitime », et que les autorités policières préfèrent nommer le « recours à la force ». D’ailleurs, leur continuum d’usage de la « force raisonnable » va de la contention physique au tir à balles réelles, en passant par le poivre de Cayenne et autres lacrymogènes, les matraques, les balles de caoutchouc, sans oublier le pistolet électrique Taser. C’est ainsi que des fonctionnaires municipaux, provinciaux ou fédéraux, chargés du maintien de l’ordre public, du service à la collectivité et de la protection des personnes dans une société libre et démocratique, laissent souvent des blessés et, plus rarement, des morts du fait de leur arbitrage quotidien au sein de la société.

Depuis 1987, le Service de police de la ville de Montréal a été impliqué dans la mort de près de 50 personnes, sans compter les blessés. En 2008, Freddy Villanueva a été le 43e nom inscrit sur cette liste macabre qui a continué à s’allonger jusqu’au 7 juin 2011, quand ceux de Mario Hamel et de Patrick Limoges sont venus s’y ajouter. Tous trois ont partagé le même sort : celui d’avoir été abattu par des policiers, craignant pour leur vie, qui ont dégainé leur arme de service en pleine ville pour neutraliser une menace perçue à leur propre sécurité ainsi qu’à la sécurité publique en tirant, à bout portant ou de loin, sur des cibles humaines.

C’est notamment ce qu’a soutenu Jean-Loup Lapointe dans son témoignage à l’enquête du coroner sur la mort de Freddy Villanueva. Le problème, c’est que les témoins ne corroborent pas toujours les allégations des policiers. Quand ils n’ont pas été eux même victime par hasard de l’intervention, comme cela a été cas pour Patrick Limoges. En ce qui concerne Dany Villanueva, témoin de la mort de son frère, le cas est plus complexe. D’abord, il a survécu à l’opération dont il était lui-même le motif d’intervention initial et se trouvait donc en mesure de témoigner éventuellement sur les événements. Ensuite, son statut de résident permanent et son dossier criminel sont devenus des outils au service de la Couronne pour détruire sa crédibilité, d’une part, et, d’autre part, pour faire enclencher des démarches d’expulsion pour « grande criminalité » des années après que la peine de prison pour son crime ait été purgée. La question se pose : est-ce son activité criminelle passée ou bien le fait qu’il était alors témoin principal de l’enquête du coroner qui a le plus joué dans la mise en œuvre du processus d’expulsion par les autorités? La question se pose…

Pour paraphraser Staline, la mort d’un homme est une tragédie, alors que la mort d’un million n’est qu’une statistique. Avant que les morts provoquées par des « agents de la paix » ne deviennent qu’une simple statistique, il vaudrait mieux s’interroger. Quand une opération tourne mal, il ne faut pas nécessairement blâmer le chirurgien, soit. Mais si le service de chirurgie se met à tuer des patients régulièrement dans des circonstances souvent nébuleuses ou carrément douteuses, il est peut-être temps de poser des questions à la direction de l’hôpital. Qu’en dites-vous?

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