Briser le mur du silence

« La récente affaire Stéfanie Trudeau a occasionné une prise de conscience collective à propos d'un phénomène qui n'a rien de nouveau et que connaissent malheureusement trop bien les proches de victimes de bavures policières, à savoir, d'une part, l'existence d'une sous-culture de violence policière encouragée par une impunité systémique, et, d'autre part, une haine soutenue par plusieurs policiers à l'encontre de certains groupes minoritaires qui prend souvent la forme de profilage racial, social ou politique. » C'est ce qu'on peut lire dans le communiqué de presse de la coalition Justice pour les victimes de bavures policières annonçant la troisième édition de la vigile annuelle du 22 octobre devant le bureau de la Fraternité des policiers et policières de Montréal. Si quelques brefs articles parus dans les grands quotidiens ont évoqué la vigile, le communiqué ne semble pas avoir été repris par les grands médias à Montréal ni ailleurs au pays.

Les autorités policières ont vite fait de traiter l'incident du 2 octobre de cas à part, de la même manière dont elles traitent chaque incident de violence policière causant la mort ou des blessures graves comme un événement isolé. Pourtant, le 27 octobre 2012, la Sûreté du Québec a tiré sur un homme en crise suicidaire armé d'un couteau. La semaine précédente, le 14 octobre, le Service de police de Montréal SPVM) est intervenu pour donner suite à la disparition d'un bénéficiaire dans un centre pour personnes souffrant de troubles en santé mentale dans l'arrondissement LaSalle. À la suite d'une altercation avec l'homme en question, durant laquelle celui-ci aurait brandi un couteau, un policier a fait feu sur lui.

Les deux hommes ont survécu, mais des dizaines d'autres personnes n'ont pas eu cette « chance » dans leur malchance. De nombreux cas à travers le pays ont été documentés concernant des personnes décédées sous les balles, les coups ou les décharges de pistolet électrique de différents corps de police. À Montréal seulement, on dénombre trois exemples de morts violentes sous les balles de la police depuis à peine 18 mois : tous trois impliquent des hommes en détresse psychologique munis d'une arme blanche.

Le 16 février dernier, cinq agents du SPVM sont intervenus suite à un appel au 911 pour venir en aide à un homme en crise suicidaire. Lorsque les policiers se sont présentés, l'homme en question, Jean-François Nadreau, a saisi une de machette de collection et s'est dirigé vers eux en leur criant de s'en aller. Il a été abattu d'une balle au thorax, sous les yeux de sa petite-amie qui avait appelé les secours pour qu'on empêche son conjoint de s'enlever la vie.

Un mois plus tôt, le 6 janvier 2012, Farshad Mohammadi un réfugié Kurde d'origine iranienne a été abattu dans le métro alors après avoir blessé un policier à l'aide d'un couteau. Le 7 juin de l'année précédente, Mario Hamel un sans-abri en crise psychotique éventrait des sacs de poubelles au centre-ville de Montréal. Lorsque des policiers l'ont intercepté, il aurait refusé de lâcher son couteau. Il a été tué de deux balles, alors qu'une troisième balle a atteint mortellement à la nuque un passant, Patrick Limoges, qui se rendait au travail à vélo.

Dans les trois cas, la décision de dégainer et de tirer à balle réelle sur un homme seul armé d'un couteau s'explique du fait de la formation policière. Les écoles de police nord-américaines s'appuient sur la démonstration faite en 1983 par le sergent Dennis Tueller de la police de Salt Lake City voulant qu'une personne en bonne forme physique, déterminée et munie d'une arme blanche puisse franchir une distance de 21 pieds (ou 6,4 m) en 1,5 seconde.

Comme le veut la politique ministérielle dans les cas où une personne meurt ou subit des blessures pouvant causer la mort lors d'une intervention policière ou durant sa détention par un service de police, une enquête sur les causes et circonstances de l'incident est confiée à un autre corps de police. Si le passé est garant de l'avenir, il y a fort à parier que le rapport d'enquête conclura que le choix des officiers de faire usage de la force létale était justifié par le fait qu'ils étaient sous la menace d'un homme armé d'un couteau à moins de 21 pieds. Aucune accusation criminelle ne sera déposée contre les responsables de ce qui n'est rien de moins qu'un homicide (volontaire ou non). Chaque incident étant traité comme un cas isolé, il ne sera vraisemblablement tracé aucun parallèle entre les circonstances, pourtant fort similaires, ayant mené à ces morts violentes.

La surveillance civile des enquêtes policières proposée récemment par le gouvernement péquiste reprenant essentiellement l'idée du gouvernement précédent ne changera rien au mécanisme actuel, selon lequel la police enquête sur la police. À ce jour, les membres du corps policier ne sont même pas tenus de collaborer aux enquêtes en déontologie lorsqu’ils font l’objet d’une plainte.

La Ligue des droits et libertés milite en faveur d'un processus impartial, indépendant et transparent relevant du ministère de la Justice et non de celui de la Sécurité publique. D'ici à ce qu'un tel mécanisme soit mis en place, les proches et les familles des victimes ne peuvent pas compter sur la collaboration des autorités publiques pour briser le mur du silence qui protège les policières et les policiers impliqués dans des morts violentes.

Mise à jour : dans la première version de ce billet, on pouvait lire : « Aucune accusation criminelle ne sera déposée contre les responsables de ce qui est au mieux un homicide involontaire et au pire un meurtre au premier degré. » Vérification faite, la définition du meurtre au premier degré revoit à un homicide prémédité. Rien ne permet d'affirmer que les quatre meurtres imputables à la police évoqués dans cet éditorial aient été prémédités.
 

Supplément vidéo (en Anglais) à l'émission du 25 octobre sur la vigile de la coalition Justice pour les victimes de bavures policières. Reportage de Simon Van Vliet. Caméra Paulina Ignacak.

Pas d'ordre sans justice

« On parle beaucoup d'ordre, en ce moment. C'est que l'ordre est une bonne chose et nous en avons beaucoup manqué. » Ainsi débute l'éditorial du journal Combat, publié le 12 octobre 1944, sous la plume du journaliste critique qu'était Albert Camus. Le désordre de la guerre totale dont sortait à l'époque l'Europe se compare difficilement à celui de la lutte sociale qui secoue le Québec cette année, mais force est de constater que les réflexions de Camus restent plus que jamais d'actualité.

Après un printemps tumultueux marqué par des centaines de manifestations et un nombre record d'arrestations (plus de 2 500 en à peine six mois, soit deux fois et demi plus que lors de la réunion du G 20 à Toronto en juin 2010), l'appel aux urnes résonne comme un appel à l'ordre. Le gouvernement se satisfait d'avoir rétabli un semblant de paix sociale dans la province et compte maintenant sur la joute électorale pour enterrer définitivement la contestation populaire qui remet en question jusqu'à sa légitimité. « Mais l'ordre social, interroge Camus, est-ce seulement la tranquillité des rues? Cela n'est pas sûr. » Ce retour au calme apparent (et apparemment temporaire) se paye d'ailleurs au prix d'une loi liberticide, condamnée récemment par la Commission des droits de la personne du Québec.

Vu à travers le prisme des médias (les anciens comme les nouveaux), le vaste mouvement social qui a émergé de la lutte étudiante contre la hausse des frais de scolarité peut sembler confus et chaotique de par ses revendications hétérogène et ses propositions radicales. Bien plus qu'à une résolution de conflit négociée sur la base d'un impossible compromis électoral (entre l'éducation comme bien public universel ou comme investissement privé individuel), la mobilisation populaire appelle à une véritable révolution de nos institutions économiques, politiques et sociales. « Sous leur visage désordonné, souligne Camus, les révolutions portent avec elles un principe d'ordre. » La transformation sociale envisagée ne consiste pas à remettre les choses en ordre, mais à redéfinir l'ordre des choses.

Il est impossible de renverser l'ordre en place sans se heurter à la résistance des élites qui tirent parti, d'une manière ou d'une autre, de l'organisation actuelle de la vie collective. En témoigne la violence institutionnelle avec laquelle la protestation est réprimée lorsqu'elle sort des cadres, de plus en plus restrictifs, de la contestation légale. « Le résultat, reprend Camus, c'est qu’on ne peut invoquer la nécessité de l'ordre pour imposer des volontés. Car on prend ainsi le problème à l'envers. Il ne faut pas seulement exiger l'ordre pour bien gouverner, il faut bien gouverner pour réaliser le seul ordre qui ait du sens. Ce n'est pas l'ordre qui renforce la justice, c’est la justice qui donne sa certitude à l'ordre. »

L'ordre n'est pas un fin en soi, c'est un moyen de l'organisation collective. Il peut aussi bien être au service de la justice et de la liberté qu'au service de la domination et de l'inégalité. « Nous croyons ainsi, ajoute Camus, qu'il est un ordre dont nous ne voulons pas parce qu'il consacrerait notre démission et la fin de l'espoir humain. » C'est précisément cet ordre inacceptable qui a été mis en cause dans le printemps étudiant et avant cela dans l'automne indigné. Un ordre où la notion d'une juste-part de chacun des individus est substituée à l'idée d'une justice pour toutes les personnes. Un ordre où les institutions judiciaires (la loi, les tribunaux) sont détournées de leur mission pour arbitrer un conflit essentiellement politique. L'ordre du tout-à-l'économie qui fait passer pour du développement durable l'extraction de ressources naturelles non-renouvelables et l'exploitation d'énergies polluantes, cet ordre fondé sur l'injustice et l'inégalité, nous n'en voulons pas.

Au risque de passer pour d'indécrottables idéalistes, déclarons avec Camus que « nous préférerons éternellement le désordre à l'injustice ». Construisons plutôt ensemble un ordre juste, fondé sur la coopération plutôt que sur la compétition, sur l'entraide plutôt que sur la rivalité. Voilà un projet de société qui déborde largement les options que nous offrent les urnes.

Sédition criminelle


En ces temps de contestation de plus en plus insurrectionnelle, il est bon de rappeler qu'au Canada, la sédition, c'est-à-dire tout soulèvement concerté contre l’autorité publique, est criminelle. En vertu de l'article 61 du Code criminel, le fait (a) de prononcer des paroles séditieuses, (b) de publier un libelle séditieux (ce que cet éditorial n'est évidemment pas) ou (c) de participer à une conspiration séditieuse est un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans. Sous peine de lourdes conséquences judiciaires, l'expression de toute forme de dissidence ne peut donc se faire qu'à l'intérieur du cadre législatif qui vise à maintenir l'ordre public. Or, force est de constater que le cadre en question rétrécit à vue d'oeil.

À Montréal, le Conseil municipal vient d'adopter, par 33 voix contre 25, des modifications au règlement sur la «prévention des troubles de la paix, de la sécurité et de l'ordre publics et sur l'utilisation du domaine public» qui prévoit notamment l'interdiction du port du masque «sans motif raisonnable» dans une assemblée publique ainsi que l'obligation de divulguer le lieu de rassemblement et le trajet avant une manifestation. Le nouveau règlement entre en vigueur à la suite d’une consultation publique bâclée où le projet avait été vivement critiqué.

Pendant ce temps, à l'Assemblée nationale du Québec, les députés débattent d'une loi spéciale «permettant aux étudiants de recevoir l'enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaires qu'ils fréquentent». À moins d'une dissidence improbable de certains députés libéraux, le Projet de loi n° 78 sera adopté dans les prochaines heures. Lorsqu'elle entrera en vigueur, la loi spéciale exigera que les organisateurs de toute manifestation publique (de plus de 50 personnes selon le texte amendé) qu'ils communiquent à la police, au moins huit heures avant la tenue du rassemblement, la date, le lieu, l'heure, la durée et, le cas échéant, l'itinéraire ainsi que le moyen de transport utilisé pour la manifestation. [Mise-à-jour : le projet de loi a été adopté par 68 voix contre 48, lors de la séance extraordinaire du 17 mai 2012.]

Alors qu'on s'inquiète de cette dérive totalitaire au Québec, un autre projet du même ordre que le règlement montréalais est à l'étude à Ottawa. Proposé par le gouvernement conservateur majoritaire de Stephen Harper, le Projet de loi C-309 vise à amender l'article 65 du Code criminel de sorte que toute personne qui participe à une émeute «en portant un masque ou autre déguisement dans le but de dissimuler son identité sans excuse légitime est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans». L'article 64 du Code criminel précise qu'une émeute «est un attroupement illégal qui a commencé à troubler la paix tumultueusement». Quant à l'attroupement illégal, il est défini à l'article 63(1) comme étant «la réunion de trois individus ou plus qui, dans l’intention d’atteindre un but commun, s’assemblent, ou une fois réunis se conduisent, de manière à faire craindre, pour des motifs raisonnables, à des personnes se trouvant dans le voisinage de l’attroupement : a) soit qu’ils ne troublent la paix tumultueusement; b) soit que, par cet attroupement, ils ne provoquent inutilement et sans cause raisonnable d’autres personnes à troubler tumultueusement la paix». Précisons enfin que l'article 63(2) indique qu'un assemblée légitime, «peut devenir un attroupement illégal lorsque les personnes qui la composent se conduisent, pour un but commun, d’une façon qui aurait fait de cette assemblée un attroupement illégal si elles s’étaient réunies de cette manière pour le même but». En simple, n'importe quelle réunion publique de trois personnes ou plus est susceptible de devenir un attroupement illégal à partir du moment où des personnes se trouvant dans le voisinage (lire les autorités policières) craignent qu'elle puisse troubler la paix tumultueusement ou inciter d'autres personnes à le faire.

Ce serait criminel pour moi de dire ouvertement qu'il faut renverser ces autorités publiques qui ne nous laissent le droit de contester leurs décisions que selon les règles, de plus en plus contraignantes, qu'elles édictent et imposent. Alors, je ne le dirai pas, mais, si c'est encore permis, je n'en pense pas moins.

Rions plus fort, pour que personne ne nous ignore

La blague du premier ministre à l'occasion de son discours d'ouverture au Salon Plan Nord témoigne d'un humour cynique qui révèle la même arrogance, la même insouciance que celle qui aurait coûté la tête à Marie-Antoinette suite à la Révolution française. Les protestataires qui descendent jour après jour dans la rue l'ont retournée en un slogan qui en dit long sur l'état d'esprit d'une vague de contestation qui dépasse largement la lutte corporatiste opposant le mouvement étudiant et le gouvernement libéral sur la question de la hausse des frais de scolarité : «Charest, dehors! On va t'trouver une job dans l'Nord...» 

Une foule des gens d'affaires qui, moyennant la modique somme de 400 ou 500 $ par personne, assistait au Forum stratégique sur les ressources naturelles, a ri à gorge déployée. Une foule de jeunes (et de moins jeunes) qui se faisait, plutôt gratuitement, matraquer, poivrer, gazer et tirer dessus par la police à l'extérieur du Palais des Congrès de Montréal, a pour sa part beaucoup moins apprécié de faire les frais de l'humour d'un Premier ministre assiégé dans sa salle de conférence.

Le forum en question était organisé par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, en partenariat avec Raymond Chabot Grant Thornton, dont l'ex-vice-première ministre du Québec et ancienne ministre responsable du Plan Nord, Nathalie Normandeau, est aujourd'hui vice-présidente au développement stratégique. Le moins qu'on puisse dire c'est que cette petite élite économique et politique qui s'amusait dans sa maison de verre avec le premier ministre se moque, littéralement, des problèmes d'accessibilité aux études et du droit des communautés du Nord à disposer d'elles-mêmes et de leur territoire.

Ce gratin du Québec Inc. n'a qu'une idée en tête : créer de la richesse. À tout prix. Comme si les ressources naturelles dont regorge le Nord-du-Québec ne constituaient pas une richesse en soi. Il faudrait les exploiter pour en tirer la plus-value qui se transformera en profits pour leurs actionnaires, en croissance économique pour le Québec. Pour la forme, on parle de ce vaste chantier minier, forestier et énergétique en termes de développement durable, mais qu'y a-t-il de durable dans l'extraction de minerais qui ont pris des milliers, voire des millions d'années à se former dans le sol? Dans le fait d'entailler des forêts qui sont parmi les derniers écosystèmes intacts dans l'hémisphère nord?

Qu'on se le dise le capitalisme n'est pas soutenable. Il ne l'a jamais été et ne le sera jamais. En témoigne la triple crise économique, écologique et énergétique dont le système-marché mondial, gouverné par une opaque technocratie transnationale, est incapable de se sortir. N'attendons plus que nos gouvernements provinciaux ou nationaux, ni même les institutions internationales agissent pour assurer le présent et garantir l'avenir de nos enfants et de notre planète. La démocratie est depuis longtemps soumise aux besoins et aux intérêts des marchés et de leurs cortèges d'investisseurs, d'entrepreneurs et de spéculateurs.

Au sommet de la hiérarchie sociale, on se paie notre tête avec mépris et condescendance. À la base de la pyramide, le peuple gronde. Rira bien qui rira le dernier.

La démocratie en grève

En principe, la démocratie, c'est le pouvoir du peuple. Étymologiquement, du moins. En pratique, la démocratie moderne est plutôt une sorte de dictature éclairée, une hégémonie légitimée par la majorité.

Au Canada, lors des élections générales du 2 mai dernier, la majorité des sièges (ce qui n'est pas l'équivalent de la majorité des voix) a été accordée au Parti conservateur de Stephen Harper. Et ce, après que son précédent gouvernement ait été défait pour outrage au Parlement! La Chambre des communes avait retiré sa confiance à un gouvernement minoritaire qui refusait, notamment, de divulguer aux parlementaires le détail des coûts de plusieurs projets de lois controversés en matière de justice criminelle. Aujourd'hui majoritaire, le gouvernement Harper peut en toute légitimité dicter – le mot est bien choisi – ses politiques d'austérité.

(Petit détour sémantique intéressant : le mot austérité vient du latin austeritas, âpreté. L'adjectif âpre renvoit à ce qui produit une sensation désagréable; à ce qui a un caractère dure, violent et rude; à quelque chose qui est difficile à supporter. On dit d'une personne rigide dans ses principes moraux ou d'une chose dépourvue d'agrément, qu'elle est austère.)

Au Québec, tandis que le gouvernement libéral de Jean Charest s'acharne à vouloir faire payer «leur juste part» aux étudiantes et aux étudiants pour ce service public qu'est l'éducation, il offre gratuitement le Nord aux compagnies forestières, minières et gazières. Le fait qu'une «décision budgétaire» augmente l'endettement étudiant et réduise l'accessibilité aux études universitaires ne l'empêche pas de dormir... Avec les deux mains sur le volant, il rêve de son Plan nord, ce «projet d'une génération» (et au diable les suivantes!) qui consiste à confier à des entreprises privées le mandat d'exploiter les ressources naturelles non-renouvelables qui, soit dit en passant, se situent en  partie sur des territoires autochtones non-cédés. Les communautés qui s'opposent à cette logique de développement néo-coloniale ne sont qu'une minorité, tout comme les mouvements étudiants qui luttent contre la hausse des droits de scolarité. Et on ne gouverne pas pour les minorités, mais pour la majorité. Pour une majorité (souvent relative) qui ne s'exprime que quand on la convoque aux urnes.

C'est au nom de cette «majorité silencieuse» que la vice-première ministre du Québec et ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, entend résister au corporatisme étudiant qui exige le gel des frais de scolarité et dont certaines factions «radicales» vont même jusqu'à revendiquer la gratuité scolaire. Au nom de cette majorité discrète, elle condamne, relayée béatement par des journalistes complaisants, la «violence» des «casseurs extrémistes» qui s'infiltrent, masqués, dans des manifestations respectueuses (lire inoffensives). Au nom de cette majorité sobre, elle s'offusque du fait qu'une minorité d'étudiants et d'étudiantes «boycottent» leur cours pour aller occuper des bureaux, bloquer des ports, des ponts, des autoroutes. Après tout, de quel droit des minorités viendraient-elles troubler la paix sociale que réclame (silencieusement) la majorité?

Personnellement, je ne veux pas en être, de cette majorité timorée qui légitime un gouvernement austère. Lorsque viendra le temps, aux prochaines élections, d'abdiquer ma souveraineté à l'État qui prétend me servir et me protéger, peut-être bien que je ferai grève... de la démocratie!

Du pareil au même?

« Ce n'est pas si facile de devenir ce que l'on est, de retrouver sa mesure profonde. » (Albert Camus)

*

Nom féminin, découlant du latin tardif identitas et du latin classique idem, « le même », le mot identité renvoie paradoxalement à l'idée de ressemblance et de similitude, d'une part, et, d'autre part, à celle d'unité et de singularité. Selon Le Robert Micro, l'identité se définit à la fois comme le caractère « de deux choses identiques » et comme celui « de ce qui est un » : elle se construit donc à partir de cette irréconciliable dualité entre unité et pluralité, entre unicité et altérité. Il n'est pas question ici d'uniformité pure et simple, mais bien plus d'unité dans la diversité, car ce qui est identique est avant tout « ce qui est semblable, mais distinct. »

Suivant la définition proposée par Larousse, l'identité se fonde d'ailleurs sur un « rapport que présentent entre eux deux ou plusieurs êtres ou choses qui ont une similitude parfaite », et elle constitue de ce fait le « caractère de deux êtres ou choses qui ne sont que deux aspects divers d'une réalité unique ». C'est sur cette relation complexe entre similarité et différence que se construit l'identité, c'est-à-dire le « caractère permanent et fondamental de quelqu'un, d'un groupe, qui fait son individualité, sa singularité ».

Du point de vue sociologique, les caractéristiques qui servent à distinguer les personnes les unes des autres comportent une dimension objective. Ceci nous renvoie à la définition opérationnelle de l'identité que l'on peut lire dans le Larousse : « ensemble des données de fait et de droit qui permettent d'individualiser quelqu'un (date et lieu de naissance, nom, prénom, filiation, etc.) » Plus largement, l'identité englobe également toutes sortes d'attributs biologiques ou de conditions sociales manifestes ou latentes, explicites ou non : sexe, couleur de la peau, occupation, statut social, groupes d'appartenance, etc. Comme le rappelle l'économiste Amartya Sen, prix Nobel d'économie en 1998, de nombreuses inégalités sociales découlent « des caractéristiques non seulement externes (la fortune reçue en héritage, le milieu naturel et social où nous vivons), mais aussi personnelles (l’âge, le sexe, la vulnérabilité aux maladies, les aptitudes physiques et intellectuelles) » qui sont autant de critères « objectifs » de définition de l'identité.

Du point de vue de la psychologie, l'identité réfère plutôt à la conception subjective qu'une personne se fait d'elle-même, à une représentation de soi qui est naturellement influencée par l'image que la société lui renvoie de ce qu'elle est « objectivement », mais qui ne s'y réduit pas. Le psychanalyste Carl Gustav Jung (un important théoricien du développement psychosocial qui n'est pas seulement le disciple de Freud porté sur l'adultère et le sadomasochisme représenté dans le film A dangerous method de David Cronenberg) appelle individuation le processus par lequel chaque être humain est appelé, au cours de sa vie, à devenir : « un in-dividu psychologique, c'est-à-dire une entité autonome et indivisible, une totalité. »

Jusqu'à ce que la mort nous sépare

Pour vous parler d'amour, j'avoue que j'aurais pu trouver un angle plus léger : les roses rouges, les cœurs en chocolat, les sorties entre amants, les lettres romantiques, le kamasutra; mais bon, je n'aime pas trop les lieux communs... Les conseils de séduction aux célibataires ou les trucs pour raviver la flamme dans le couple, je laisse ça à d'autres!

Comme je suis un peu philosophe, j'aime mieux me poser des questions plus sérieuses. « Juger si la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, disait Camus, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie. » Il s'agit ici, littéralement, d'une question de vie ou de mort. J'y répondrai en paraphrasant Nietzsche : sans l'amour, la vie serait une erreur. En effet, si ce n'était de l'amour, la vie ne vaudrait peut-être « pas la peine » d'être vécue. (Notez bien l'usage du conditionnel, car cet énoncé tient plus de l'hypothèse que de l'affirmation.)

Quoiqu'il en soit, se pourrait-il que le profond mal de vivre qui ronge notre époque prenne racine dans un tout aussi profond mal d'amour? C'est que l'amour se définit, notamment, comme un attachement désintéressé et profond à une valeur. On dit donc, à juste titre, de l'amour qu'il n'a pas de prix. (On dit aussi que, pour tout le reste, il y a le crédit, mais ne nous égarons pas...) Or, dans une société de consommation comme la nôtre, la seule valeur d'une chose est son prix; et, dans un monde utilitariste comme celui où nous évoluons, on ne s'attache à rien qui ne serve pas nos intérêts. Ainsi dépourvu du sens de la gratuité et de l'abnégation qui est le fondement même de l'amour dans son acception la plus large, nous avons perdu la capacité d'aimer autrement que de manière calculatrice et instrumentale.

L'attachement on s'en méfie, l'engagement on s'en défile. Tout ce qui compte, c'est la passion, soit la dimension strictement hédoniste de l'amour. Le plaisir, on ne s'en lasse pas! L'intimité, par contre, on s'en passerait bien. Quant à la responsabilité vis-à-vis de l'autre, n'en parlons même pas. Chacun pour soi et tous contre tous : voilà la triste devise de notre temps.

En quelque sorte, la conception contemporaine de l'amour, se résume à l'eros, c'est-à-dire à un désir perpétuellement insatisfait, à un manque chronique à combler. Il y a évidemment de quoi être désillusionné de l'amour quand on ne cherche qu'à remplir le vide qu'il créé en nous! C'est oublier la simple satisfaction qu'on peut trouver dans l'amour philia : une amitié sincère qui se nourrit de réciprocité et de partage. C'est négliger aussi la plénitude que procure l'amour agapè qui s'exprime dans la bienveillance et le don.

Jusqu'à ce que la mort ne nous arrache à la vie, nous pouvons encore apprendre à aimer... pour le meilleur ou pour le pire.

Santé pour 2012!


Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), celle-ci se définit comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. » Rien de moins. À ce compte là, on peut affirmer que personne n'a jamais été pleinement en santé! Et si l'on peut toujours aller mieux, est-ce alors dire que le rôle de la médecine ne serait pas exclusivement de remédier aux maux et aux déficiences du corps ou de l'esprit, mais bien plus de créer les conditions individuelles et collectives du bien-être humain et ce, tant sur le plan physiologique que psycho-social?

Laissons de côté, voulez-vous, cette question rhétorique et attardons-nous plutôt à une question plus pragmatique : par où commencer pour apporter plus dans santé dans le monde? On peut chercher une piste de réponse dans l'éthique de la permaculture, dont les trois principes élémentaires sont : 1) prendre soin de la terre, 2) prendre soin de l'humain et 3) partager équitablement.

Prendre soin la terre, d'abord, car c'est elle qui supporte notre développement : sans écosystème en santé, il n'y a plus de nourriture saine ni d'eau potable. Face à la dégradation croissante de nos milieux de vies locaux et de l'environnement global, il n'y a aucune liste d'attente qui puisse contenir l'urgence écologique contemporaine. Prendre soin de la terre n'est ni plus ni moins qu'une question de survie de l'espèce.

Ensuite, prendre soin de l'humain, c'est-à-dire s'occuper et se préoccuper de soi-même et de ses proches afin de cultiver l'autonomie et la responsabilité face au bien-être personnel et général. Les relations humaines sont l'essence même de la vie sociale, la société n'étant rien d'autre que le produit d'interactions entre des individus. À l'indifférence, l'individualisme, l'utilitarisme qui caractérisent nos modèles de relations interpersonnelles actuels, il faut substituer la considération, la solidarité, l'altruisme. Un changement de paradigme relationnel est nécessaire pour construire une société cohésive et intègre qui pourra assurer la protection sociale de toutes les populations contre les risques naturels et sociaux, accentués par des siècles de négligence environnementale et d'injustice culturelle, économique et politique.

Ce qui nous amène, enfin, au dernier principe (et non le moindre) : partager équitablement. L'idée d'une croissance infinie dans un monde fini relève d'une dangereuse utopie, radicale et extrémiste, que seuls une classe politique guidée par les intérêts absurdes de marchés détraqués peut encore défendre aujourd'hui. Il en résulte une triple crise écologique, financière et politique qui ne peut se résoudre que par une révolution économique complète qui remettra la production et la consommation en phase avec la distribution et l'utilisation des ressources sur la planète. Au final, tout un chacun aura sa juste part ou personne n'aura plus rien du tout.

*

Si l'année 2012 devait marquer la fin du monde, ce sera peut-être la fin du monde tel que l'on connaît : malade et infirme. Ceci dit, le patient n'est être pas encore entièrement perdu. Avons-nous encore une chance de le guérir?

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