Les autorités policières
ont vite fait de traiter l'incident du 2 octobre de cas à part, de
la même manière dont elles traitent chaque incident de violence
policière causant la mort ou des blessures graves comme un événement
isolé. Pourtant, le 27 octobre 2012, la Sûreté du Québec a tiré
sur un homme en crise suicidaire armé d'un couteau. La semaine
précédente, le 14 octobre, le Service de police de Montréal SPVM)
est intervenu pour donner suite à la disparition d'un bénéficiaire
dans un centre pour personnes souffrant de troubles en santé mentale
dans l'arrondissement LaSalle. À la suite d'une altercation avec
l'homme en question, durant laquelle celui-ci aurait brandi un
couteau, un policier a fait feu sur lui.
Les deux hommes ont
survécu, mais des dizaines d'autres personnes n'ont pas eu cette
« chance » dans leur malchance. De nombreux cas à
travers le pays ont été documentés concernant des personnes
décédées sous les balles, les coups ou les décharges de pistolet
électrique de différents corps de police. À Montréal seulement,
on dénombre trois exemples de morts violentes sous les balles de la
police depuis à peine 18 mois : tous trois impliquent des
hommes en détresse psychologique munis d'une arme blanche.
Le 16 février dernier,
cinq agents du SPVM sont intervenus suite à un appel au 911 pour
venir en aide à un homme en crise suicidaire. Lorsque les policiers
se sont présentés, l'homme en question, Jean-François Nadreau, a
saisi une de machette de collection et s'est dirigé vers eux en leur
criant de s'en aller. Il a été abattu d'une balle au thorax, sous
les yeux de sa petite-amie qui avait appelé les secours pour qu'on
empêche son conjoint de s'enlever la vie.
Un mois plus tôt, le 6
janvier 2012, Farshad Mohammadi un réfugié Kurde d'origine
iranienne a été abattu dans le métro alors après avoir blessé un
policier à l'aide d'un couteau. Le 7 juin de l'année précédente,
Mario Hamel un sans-abri en crise psychotique éventrait des sacs de
poubelles au centre-ville de Montréal. Lorsque des policiers l'ont
intercepté, il aurait refusé de lâcher son couteau. Il a été tué
de deux balles, alors qu'une troisième balle a atteint mortellement
à la nuque un passant, Patrick Limoges, qui se rendait au travail à
vélo.
Dans les trois cas, la
décision de dégainer et de tirer à balle réelle sur un homme seul
armé d'un couteau s'explique du fait de la formation policière. Les
écoles de police nord-américaines s'appuient sur la démonstration
faite en 1983 par le sergent Dennis Tueller de la police de Salt Lake
City voulant qu'une personne en bonne forme physique, déterminée et
munie d'une arme blanche puisse franchir une distance de 21 pieds (ou
6,4 m) en 1,5 seconde.
Comme le veut la
politique ministérielle dans les cas où une personne meurt ou subit
des blessures pouvant causer la mort lors d'une intervention
policière ou durant sa détention par un service de police, une
enquête sur les causes et
circonstances de l'incident est confiée à un autre corps de police.
Si le passé est garant de l'avenir, il y a fort à parier que le
rapport d'enquête conclura que le choix des officiers de faire usage
de la force létale était justifié par le fait qu'ils étaient sous
la menace d'un homme armé d'un couteau à moins de 21 pieds. Aucune
accusation criminelle ne sera déposée contre les responsables de ce
qui n'est rien de moins qu'un homicide (volontaire ou non). Chaque
incident étant traité comme un cas isolé, il ne sera
vraisemblablement tracé aucun parallèle entre les circonstances,
pourtant fort similaires, ayant mené à ces morts violentes.
La surveillance civile
des enquêtes policières proposée récemment par le gouvernement
péquiste reprenant essentiellement l'idée du gouvernement précédent
ne changera rien au mécanisme actuel, selon lequel la police enquête
sur la police. À ce jour, les membres du corps policier ne sont même
pas tenus de collaborer aux enquêtes en déontologie lorsqu’ils
font l’objet d’une plainte.
La Ligue des droits et
libertés milite en faveur d'un processus impartial, indépendant et
transparent relevant du ministère de la Justice et non de celui de
la Sécurité publique. D'ici à ce qu'un tel mécanisme soit mis en
place, les proches et les familles des victimes ne peuvent pas
compter sur la collaboration des autorités publiques pour briser le
mur du silence qui protège les policières et les policiers
impliqués dans des morts violentes.
Mise à jour :
dans la première version de ce billet, on pouvait lire :
« Aucune accusation criminelle ne sera déposée contre les
responsables de ce qui est au mieux un homicide involontaire et au
pire un meurtre au premier degré. » Vérification faite, la
définition du meurtre au premier degré revoit à un homicide
prémédité. Rien ne permet d'affirmer que les quatre meurtres
imputables à la police évoqués dans cet éditorial aient été
prémédités.
Supplément vidéo (en Anglais) à l'émission du 25 octobre sur la vigile de la coalition Justice pour les victimes de bavures policières. Reportage de Simon Van Vliet. Caméra Paulina Ignacak.