La démocratie en grève

En principe, la démocratie, c'est le pouvoir du peuple. Étymologiquement, du moins. En pratique, la démocratie moderne est plutôt une sorte de dictature éclairée, une hégémonie légitimée par la majorité.

Au Canada, lors des élections générales du 2 mai dernier, la majorité des sièges (ce qui n'est pas l'équivalent de la majorité des voix) a été accordée au Parti conservateur de Stephen Harper. Et ce, après que son précédent gouvernement ait été défait pour outrage au Parlement! La Chambre des communes avait retiré sa confiance à un gouvernement minoritaire qui refusait, notamment, de divulguer aux parlementaires le détail des coûts de plusieurs projets de lois controversés en matière de justice criminelle. Aujourd'hui majoritaire, le gouvernement Harper peut en toute légitimité dicter – le mot est bien choisi – ses politiques d'austérité.

(Petit détour sémantique intéressant : le mot austérité vient du latin austeritas, âpreté. L'adjectif âpre renvoit à ce qui produit une sensation désagréable; à ce qui a un caractère dure, violent et rude; à quelque chose qui est difficile à supporter. On dit d'une personne rigide dans ses principes moraux ou d'une chose dépourvue d'agrément, qu'elle est austère.)

Au Québec, tandis que le gouvernement libéral de Jean Charest s'acharne à vouloir faire payer «leur juste part» aux étudiantes et aux étudiants pour ce service public qu'est l'éducation, il offre gratuitement le Nord aux compagnies forestières, minières et gazières. Le fait qu'une «décision budgétaire» augmente l'endettement étudiant et réduise l'accessibilité aux études universitaires ne l'empêche pas de dormir... Avec les deux mains sur le volant, il rêve de son Plan nord, ce «projet d'une génération» (et au diable les suivantes!) qui consiste à confier à des entreprises privées le mandat d'exploiter les ressources naturelles non-renouvelables qui, soit dit en passant, se situent en  partie sur des territoires autochtones non-cédés. Les communautés qui s'opposent à cette logique de développement néo-coloniale ne sont qu'une minorité, tout comme les mouvements étudiants qui luttent contre la hausse des droits de scolarité. Et on ne gouverne pas pour les minorités, mais pour la majorité. Pour une majorité (souvent relative) qui ne s'exprime que quand on la convoque aux urnes.

C'est au nom de cette «majorité silencieuse» que la vice-première ministre du Québec et ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, entend résister au corporatisme étudiant qui exige le gel des frais de scolarité et dont certaines factions «radicales» vont même jusqu'à revendiquer la gratuité scolaire. Au nom de cette majorité discrète, elle condamne, relayée béatement par des journalistes complaisants, la «violence» des «casseurs extrémistes» qui s'infiltrent, masqués, dans des manifestations respectueuses (lire inoffensives). Au nom de cette majorité sobre, elle s'offusque du fait qu'une minorité d'étudiants et d'étudiantes «boycottent» leur cours pour aller occuper des bureaux, bloquer des ports, des ponts, des autoroutes. Après tout, de quel droit des minorités viendraient-elles troubler la paix sociale que réclame (silencieusement) la majorité?

Personnellement, je ne veux pas en être, de cette majorité timorée qui légitime un gouvernement austère. Lorsque viendra le temps, aux prochaines élections, d'abdiquer ma souveraineté à l'État qui prétend me servir et me protéger, peut-être bien que je ferai grève... de la démocratie!

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