En
ces temps de contestation de plus en plus insurrectionnelle, il est
bon de rappeler qu'au Canada, la sédition, c'est-à-dire tout
soulèvement concerté contre l’autorité publique, est criminelle.
En vertu de l'article 61 du Code criminel, le fait (a) de
prononcer des paroles séditieuses, (b) de publier un libelle
séditieux (ce que cet éditorial n'est évidemment pas) ou (c) de participer à une conspiration séditieuse est
un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de quatorze
ans. Sous peine de lourdes conséquences judiciaires, l'expression de
toute forme de dissidence ne peut donc se faire qu'à l'intérieur du
cadre législatif qui vise à maintenir l'ordre public. Or, force est
de constater que le cadre en question rétrécit à vue d'oeil.
À Montréal, le Conseil
municipal vient d'adopter, par 33 voix contre 25, des modifications
au règlement sur la «prévention des troubles de la paix, de la
sécurité et de l'ordre publics et sur l'utilisation du domaine
public» qui prévoit notamment l'interdiction du port du masque
«sans motif raisonnable» dans une assemblée publique ainsi
que l'obligation de divulguer le lieu de rassemblement et le trajet avant une manifestation. Le nouveau règlement entre en vigueur à la
suite d’une consultation publique bâclée où le projet avait été vivement critiqué.
Pendant ce temps, à
l'Assemblée nationale du Québec, les députés débattent d'une loi spéciale «permettant aux étudiants de recevoir
l'enseignement dispensé par les établissements de niveau
postsecondaires qu'ils fréquentent». À moins d'une dissidence
improbable de certains députés libéraux, le Projet de loi n° 78
sera adopté dans les prochaines heures. Lorsqu'elle entrera en
vigueur, la loi spéciale exigera que les organisateurs de toute
manifestation publique (de plus de 50 personnes selon le texte amendé) qu'ils communiquent à la police, au moins huit heures avant
la tenue du rassemblement, la date, le lieu, l'heure, la durée et,
le cas échéant, l'itinéraire ainsi que le moyen de transport
utilisé pour la manifestation. [Mise-à-jour : le projet de loi a été adopté par 68 voix contre 48, lors de la séance extraordinaire du 17 mai 2012.]
Alors qu'on s'inquiète
de cette dérive totalitaire au Québec, un autre projet du même
ordre que le règlement montréalais est à l'étude à Ottawa. Proposé par le gouvernement
conservateur majoritaire de Stephen Harper, le Projet de loi C-309 vise à amender l'article 65 du Code criminel
de sorte que toute personne qui participe à une émeute «en
portant un masque ou autre déguisement dans le but de dissimuler son
identité sans excuse légitime est coupable d’un acte criminel et
passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans». L'article 64 du Code criminel
précise qu'une émeute «est un attroupement illégal qui
a commencé à troubler la paix tumultueusement».
Quant à l'attroupement illégal, il est défini à l'article 63(1)
comme étant «la réunion de trois individus ou plus qui,
dans l’intention d’atteindre un but commun, s’assemblent, ou
une fois réunis se conduisent, de manière à faire craindre, pour
des motifs raisonnables, à des personnes se trouvant dans le
voisinage de l’attroupement : a) soit qu’ils ne troublent la paix
tumultueusement; b) soit que, par cet attroupement, ils ne provoquent
inutilement et sans cause raisonnable d’autres personnes à
troubler tumultueusement la paix».
Précisons enfin que l'article 63(2) indique qu'un assemblée
légitime, «peut devenir un attroupement illégal lorsque
les personnes qui la composent se conduisent, pour un but commun,
d’une façon qui aurait fait de cette assemblée un attroupement
illégal si elles s’étaient réunies de cette manière pour le
même but». En simple,
n'importe quelle réunion publique de trois personnes ou plus est
susceptible de devenir un attroupement illégal à partir du moment
où des personnes se trouvant dans le voisinage (lire les autorités
policières) craignent qu'elle puisse troubler la paix
tumultueusement ou inciter d'autres personnes à le faire.
Ce
serait criminel pour moi de dire ouvertement qu'il faut renverser ces
autorités publiques qui ne nous laissent le droit de contester leurs
décisions que selon les règles, de plus en plus contraignantes,
qu'elles édictent et imposent. Alors, je ne le dirai pas, mais, si
c'est encore permis, je n'en pense pas moins.